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L’islamophobie comme concept est sans fondement scientifique

Tribune

Par Vigilance Universités

Publié le 04/05/2021 à 17:26

Publicado em: https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/lislamophobie-comme-concept-est-sans-fondement-scientifique#xtor=AL-8

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Asal Houda, « Islamophobie : la fabrique d’un nouveau concept. État des lieux de la recherche », Sociologie, 2014/1 (Vol. 5), p. 13-29. DOI : 10.3917/socio.051.0013. URL : https://www.cairn.info/revue-sociologie-2014-1-page-13.htm

“L’islamophobie comme concept est sans fondement scientifique”

Des universitaires membres de Vigilance Universités expliquent en quoi le concept d’« islamophobie » est selon eux trop ambigu et flou pour être réutilisé scientifiquement.

Dans les derniers mois, plusieurs fois la question de la légitimité du terme « islamophobie » a été posée comme si elle pouvait être tranchée par un argument d’autorité, et plus précisément d’autorité universitaire. Le fait que des universitaires utilisent ce terme prouverait qu’il est légitime et que, par conséquent, ceux qui critiquent son usage dans la vie publique (dans les discours politiques, les médias ou les titres de manifestations publiques) sont des individus peu recommandables, qui ne peuvent pas, quoi qu’ils en disent, être de vrais et sincères antiracistes. Voilà globalement ce que disent ou laissent entendre ceux qui prétendent s’appuyer ainsi sur l’autorité de l’université pour valider la nouvelle cible qu’ils veulent donner à la lutte antiraciste : l’islamophobie. Affrontons donc sans détour cet argument.

L’université peut-elle justifier l’emploi du terme « islamophobie » dans la vie publique ? En d’autres termes, est-ce que l’utilisation du terme d’islamophobie par un certain nombre d’universitaires peut cautionner l’emploi de ce terme dans les médias ou les discours politiques ? La réponse est simple et sans ambiguïté, et elle s’impose à toute personne rationnelle un peu informée. NON ! Ce « non » tranché repose sur un peu de logique élémentaire, en d’autres termes sur du bon sens, et sur un savoir sémantique accessible à tout observateur de la vie publique. La logique et le bon sens disent qu’une ou plusieurs personnes, qu’elles soient ou non universitaires, ne peuvent pas faire que trois choses distinctes soient une seule et même chose.

Islamophobie : trois réalités

Or, comme tout observateur peut le constater, et le regretter, « islamophobie » est, de fait, utilisé dans la vie publique pour désigner au moins trois choses distinctes : 1) les critiques ou attaques contre une religion, qu’il s’agisse de ses dogmes, ses textes, ses prophètes ou ses représentants historiques ; 2) les insultes ou attaques contre des personnes actuellement vivantes en raison de leur appartenance religieuse réelle ou supposée ; 3) la discrimination contre des personnes pour cause de leur appartenance religieuse réelle ou supposée. Le droit depuis longtemps reconnaît qu’il s’agit de trois réalités distinctes, dont seulement les deux dernières correspondent à des délits, la première étant au contraire un droit constitutif de la liberté d’expression. Or, retour au bon sens, aucun terme n’a le pouvoir magique de rendre trois égal à un.

Faut-il en conclure qu’on accuse ici les universitaires de grossières erreurs de logique ou encore d’ignorance crasse ? Pas du tout. D’abord, il peut y avoir des universitaires qui utilisent ce terme de façon rigoureuse, ou scientifiquement acceptable, en lui associant un sens précis et univoque. C’est une situation courante, celle où deux termes homonymes existent en parallèle. Le fait d’utiliser l’un des deux homonymes ne dit alors rien des qualités ou défauts de l’autre, et ne fournit donc aucun argument pour ou contre son usage.

Argument d’autorité

Ainsi, il ne vient à personne l’idée que les mathématiciens en usant du terme « chaos », dans le cadre de la « théorie du chaos » mathématique, justifient, invalident ou se prononcent de quelque manière que ce soit sur la pertinence d’utiliser le terme courant « chaos » pour désigner telle ou telle situation de la vie quotidienne. Un universitaire rigoureux, intellectuellement honnête et pas complètement ignorant des réalités sociales et politiques dans lesquelles il vit, fera bien sûr attention à ne pas mélanger les choses en mélangeant les notions, et donc, en particulier, à ne pas traiter des homonymes comme un seul et même terme.

Ensuite, l’ampleur de la communauté universitaire explique pourquoi notre critique n’est en rien une accusation portée contre elle. Sans nul doute, dans leur très grande majorité, les membres de la communauté universitaire ont les trois qualités mentionnées – rigueur, honnêteté intellectuelle et intelligence du monde dans lequel ils vivent – mais, sans nul doute aussi, quelques-uns en son sein ne satisfont pas ce standard élevé. Qu’une norme d’excellence ne puisse pas être satisfaite par tous pareillement est une loi qui vaut en tout lieu et en tout temps pour n’importe quelle communauté dès lors que celle-ci comprend plusieurs dizaines d’individus. D’ailleurs, pour se convaincre qu’il ne faut pas se départir de son bon sens devant un argument d’autorité, même si celui-ci invoque le jugement d’universitaires, il suffit de se rappeler le petit quarteron d’universitaires de renom incluant un ancien ministre, qui défendait, il y a quelques années, qu’il n’y avait pas de réchauffement climatique anthropique.

Concept illégitime

Certains, qu’ils soient ou non universitaires, défendront peut-être que le concept d’islamophobie est légitime en tant  que concept chapeau. Certes, argueront-ils, il recouvre trois choses distinctes, mais celles-ci sont si intimement liées qu’elles sont les trois facettes d’une même réalité, et qu’on passe de l’une à l’autre sans rupture de continuité. Là non plus, il n’est pas besoin d’experts ou d’autorités universitaires pour juger l’argument. Ou ce principe vaut pour toutes les religions ou il ne vaut pour aucune. Défendre que l’islam serait un cas à part sur ce point, serait une affirmation non seulement totalement arbitraire mais en plus désobligeante. Cela reviendrait à attribuer à l’islam une forme de dogmatisme ou d’intégrisme tout à fait particulier qui l’empêcherait de reconnaître des distinctions que les autres religions sont capables de reconnaître.

Mais, si le principe valait pour toutes les religions, alors, les concepts chapeaux christianophobie, bouddhéophobie etc. devraient aussi avoir droit de cité. Et Martin Scorsese, en 1988, aurait fait preuve de christianophobie, quand il a produit et diffusé le film La dernière tentation du Christ. Même si telle n’était pas son intention, il aurait alors insulté personnellement chaque chrétien et aurait introduit une forme de discrimination systématique à leur égard. Or, comme l’affirme le droit français, à juste titre, les insultes personnelles de même que l’introduction d’une forme de discrimination systématique à l’égard des membres d’une communauté sont des délits qui doivent être punis. Par conséquent, selon le principe de la religio-phobie une-en-trois-facettes, son film aurait dû être interdit, et il aurait dû être condamné pour délits d’insulte et de discrimination.

La religio-phobie ne vaut pour aucune religion

Inutile de s’étendre sur le fait qu’adopter ce principe reviendrait à remettre en cause la laïcité, et que seule une petite minorité des croyants dans chacune des grandes religions présentes en France désire réellement vivre dans une société où les instances religieuses de tout bord pourraient imposer une telle chape de plomb sur nos libertés d’expression. La conclusion s’impose : puisque la religio-phobie comme concept chapeau tricéphale ne peut valoir pour l’ensemble des religions, il ne peut valoir pour aucune d’entre elles.

L’islamophobie comme concept d’une réalité unique tripartite est donc sans fondement. On a ignoré jusqu’ici, dans notre raisonnement, le fait que « islamophobie » est utilisé par certains de façon plus large encore pour désigner, en plus, toute forme de racisme anti-arabe ou anti-maghrébin. Il va sans dire que s’il est condamnable de brouiller des distinctions utiles en confondant trois phénomènes distincts, il l’est encore plus d’en brouiller un plus grand nombre en en confondant quatre au lieu de trois.

Voilà pourquoi nous pensons qu’il n’y a pas de caution universitaire qui puisse valoir en la matière. Comme une hirondelle ne fait pas le printemps, un universitaire ne fait pas la vérité. Nous recommandons donc plutôt que chacun, en lisant cet article et d’autres, se fasse sa propre opinion sur l’emploi du terme islamophobie dans la vie publique. S’agit-il d’une arme politique utilisée par des militants pour occulter des distinctions essentielles en confondant trois, ou même quatre, choses sous un même vocable, ou s’agit-il d’un concept honnête qui sert à désigner de façon univoque un phénomène bien défini ?

À LIRE AUSSI : “Islamophobie : l’invention d’un concept”

Les signataires de ce texte, membres de Vigilance Universités, sont des universitaires dont la science est l’objet d’étude :

Françoise LONGY, Philosophe des sciences (université de Strasbourg)

Gilles DENIS, Historien et épistémologue de la biologie (université de Lille)

Éric GUICHARD, Philosophe des sciences et des techniques (université de Lyon)

Véronique LE RU, Philosophe des sciences (université de Reims Champagne-Ardenne)

Franck NEVEU, Linguiste et épistémologue des sciences du langage (Sorbonne Université)

Jean-Pierre SCHANDELER, Historien des sciences sociales (CNRS)

Jean SZLAMOWICZ, Linguiste, spécialiste d’analyse du discours (université de Bourgogne)

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